Lauréats ERC : Adressons-nous aux décideurs et aux politiques

ERC

Le 18 juin 2019 est paru une tribune co-signée par 177 lauréats ERC du CNRS. Intitulée « Le CNRS fêtera-t-il ces 100 ans ? », elle remet en cause la politique de recrutement et de financement du CNRS, piloté par Antoine Petit.
Je fais partie des lauréats CNRS de l’ERC, mais je n’ai pas signé cette tribune. Voici pourquoi.

J’ai été contactée par des collègues tardivement dans le processus d’écriture : il ne m’était pas possible d’amender le texte. Je lui reconnais pourtant de grandes qualités.

En premier lieu, je salue l’engagement des collègues qui ont pris cette initiative et travaillé ensemble à la rédaction du texte. Je salue leur volonté d’inclusion. Je salue enfin la prise de position courageuse qu’ils proposent.

Sur le fond, je rejoins de nombreux points évoqués dans cette tribune : la nécessité de renforcer les financements récurrents des laboratoires sur des temps longs, l’indispensable autonomie des chercheurs et chercheuses dans la conduite de leurs travaux mais aussi dans le choix de leurs axes de recherche, les effets délétères de la précarité des jeunes chercheurs et jeunes chercheuses sur la qualité de la science produite. Comme les signataires du texte, je suis inquiète pour l’avenir du CNRS : érosion des capacités de recherche, fonte pluriannuelle de l’embauche de personnels permanents, lesquelles sont pourtant directement corrélées à l’apport d’idées neuves et de compétences de pointe, perte de l’attractivité du métier de chercheur. C’est regrettable dans un contexte social et planétaire qui exige de nouvelles solutions conceptuelles et technologiques construites sur une démarche scientifique intègre, non partisane, et de qualité. Enfin, je constate comme eux dans certains discours une instrumentalisation du « label ERC » dans le cadre de querelles de chapelle et d’une vision individualiste de l’excellence.

Malheureusement, le texte positionne ses signataires en opposition avec la direction du CNRS : il la désigne implicitement comme responsable de la dégradation de la situation.

A titre personnel, je ne crois pas à un sabordage programmé du CNRS. Rappelons que la direction scientifique du CNRS est assurée par des chercheurs et chercheuses majoritairement issus de ses rangs, une situation privilégiée pour une institution de la République. Je suis convaincue qu’ils sont nombreux à avoir noté le déséquilibre entre l’enveloppe de fonctionnement du CNRS et du Crédit Impôt Recherche. Je crois en leur volonté sincère de défendre toute « l’équipe CNRS » dans leurs négociations avec l’Etat et au travers des refontes déjà engagées pour améliorer la gestion, la communication, le pilotage, et les liens avec la société civile.

Selon moi, viser la direction du CNRS, c’est se tromper de cible. Je crois au contraire que nous devons travailler ensemble, de façon constructive, pour requérir plus de moyens, plus d’indépendance dans la définition du périmètre de la Recherche, plus d’autonomie dans le pilotage du « vaisseau CNRS ».

L’écho rencontré dans la presse nationale et sur les réseaux sociaux par la tribune publiée ce 18 juin montre que les lauréats ERC sont écoutés. Nous devons en tirer une action constructive. Je propose que nous nous tournions collectivement d’une part, vers les politiques, et d’autre part, vers les décideurs de la société civile, pour améliorer le contexte dans lequel la direction du CNRS négocie son enveloppe budgétaire, son autonomie, et sa capacité de recrutement. Aux décideurs politiques, élus ou instances (telles que l’OPECST), allons expliquer les difficultés factuelles rencontrées par notre institution. Témoignons de notre attachement à son fonctionnement unique au monde : autonomie des équipes et pérennité des carrières. Allons aussi leur exposer de vive voix nos succès, nos rêves, notre ambition pour un monde meilleur dans lequel les sciences (au sens large : sciences dures, sciences humaines et sociales) ont toute leur place. Je crois que c’est auprès de cet auditoire que nous devons militer pour un rééquilibrage entre le budget du CIR et celui du CNRS. Aux décideurs de la société civile, entrepreneurs, grands patrons, penseurs et influenceurs du monde de l’industrie, de la culture et des associations, exposons notre vision d’une recherche libre, indépendante et ambitieuse. Avec leur concours, consolidons la confiance que l’ensemble de la société porte en ses chercheurs, et créons les leviers qui traduiront cette confiance en moyens pérennes.

Le CNRS est admiré dans le monde entier pour son modèle unique. Ses jeunes chercheurs permanents occupent des positions jalousées de leurs homologues étrangers. Plutôt que de nous déchirer, j’ai l’espoir que nous saurons transcrire l’excellence sanctionnée par l’ERC en un moteur pour l’ensemble de cette belle institution.

Dr. Sophie Carenco, Chargée de recherche, lauréate 2017 de l’ERC (projet NanoFLP).

Lien utile : Tribune "Le CNRS fêtera-t-il ses 100 ans ?"

Posté le 19 juin 2019.

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